ETHIQUE : ET TAC
Ce n’est pas exactement le bruit que fit la peau de ma cheville en explosant sous le choc de la botte de ce ‘danseur’ insouciant. Ni d’ailleurs le bruit que font depuis des années (Francine se plaignait déjà du phénomène en 93) les chevilles meurtries de pareille manière un peu partout où l’on danse la salsa à Bruxelles. Mais enfin, le jeu de mot était tentant et on est là pour s’amuser, non ?
Reprenons : ce dimanche 26 avril 98 au ‘Café Dansant’ du Pianofabriek, je danse le Mambo façon New York style avec Fabienne, on essaye des figures nouvelles, et tac ! Une douleur intense à la cheville gauche, causée par l’impulsion vigoureuse de 70 kg d’énergumène exubérant tout à fait inconscient de ses extrémités, secondée par des chaussures solides que lui envieraient n’importe quel randonneur professionnel… Un coup dans l’aile, je repère le bonhomme en question : chemise bleue, talons d’acier, attentif à éblouir sa partenaire de sa toute récente expérience de salsero de haut vol. Pas un regard, pas un mot d’excuse, Attila ne s’est aperçu de rien, semble-t-il ! Fabienne me regarde, je lis un appel au calme dans ses yeux, je respire un grand coup et on se remet à danser. Trois (deux ?) minutes plus tard, même topo, le même type me ré-écrabouille la même cheville avec le même élan et la même indifférence affectée, royal. Avant que mes neurones endoloris ne crient leur colère, la musique s’arrête, le bonhomme disparaît dans la foule et je reste là, hagard, la bave aux lèvres. A ce moment, Claudia vient me demander de la faire danser, et sans ressort, j’acquiesce. Sans beaucoup d’imagination, éprouvé par l’atmosphère étouffante et les événements antérieurs, j’essaie de guider ses pas débutants de manière efficace et agréable quand je reçois le coup de grâce : le ‘serial killer’ est de retour, et tac ! il me fend la peau jusqu’au sang d’un impérial troisième coup de botte et s’apprête (réjoui ?) à continuer son périple sanglant sans autre forme de procès. Mon sang ne fait qu’un tour et je délaisse ma partenaire pour tapoter énergiquement son épaule gauche trois fois d’affilée et lui demander d’arrêter les frais. Lui, d’abord agressif : » C’est ta faute, tu prends trop de place, tu te déplaces quand tu danses !… « , puis un peu décontenancé par le sang qui coule sur ma chaussette blanche, Rambo se défend : » Je ne savais pas, je m’excuse (sic !), mais il ne faut pas taper sur mon épaule comme ça, il faut me le dire gentiment… « .
Moi, pas vraiment apaisé par ses ‘excuses’ et pourtant incapable de lui dire le fond de ma pensée, j’ai ravalé tout ça jusqu’à aujourd’hui. Alors, je vous le livre à vous, le fond de ma pensée : ça sert à quoi, ces ‘excuses’, sinon à se protéger ? J’aurais préféré quelques mots après le premier coup, ou un sourire, un regard, une reconnaissance quelconque de ce qui venait de se passer. En bref, un peu moins de je-m’en-foutisme, d’indifférence et de mépris déguisé ( » Qu’ils se débrouillent, c’est pas de ma faute… « ) et un peu plus de ‘souci des autres’. Je fends moi-même régulièrement des chevilles (personne n’est parfait !) mais j’ essaie quand c’est possible – et ce l’est souvent – de le reconnaître, de m’arrêter de danser et de m’enquérir du capital – santé de la victime après mon agression. Ne pourrait-on pas faire plus souvent comme ça à Bruxelles? Je crois que c’est pratique courante à Cuba, à Cali ou à New York.